Il vous tend sa carte de visite, écrite en anglais et en japonais. Et, selon l’une des nombreuses coutumes japonaises adoptées par Jake Adelstein, il faut la lire attentivement tout en regardant la personne dans les yeux. Sur cette carte est écrit : journaliste. Journaliste, cet auteur américain de 53 ans l’est assurément. Il est devenu une passerelle singulière entre l’Occident et le Japon depuis la publication, en 2009, de son récit, Tokyo Vice. Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaise (traduit en France en 2016 aux Editions Marchialy).
Son best-seller vient d’être adapté dans une minisérie du même nom en huit épisodes, diffusée aux Etats-Unis sur HBO et en France sur MyCanal, avec Michael Mann derrière la caméra pour le premier épisode. Détail amusant, le réalisateur de Heat (1995) et Collateral (2004) était le producteur de l’emblématique série des années 1980 Miami Vice (Deux Flics à Miami), dont Tokyo Vice reprend, de l’aveu même de Jake Adelstein, le titre.
Parti au Japon à 19 ans pour ses études, Jake Adelstein est le premier journaliste étranger à rejoindre cinq ans plus tard, en 1993, la rédaction d’un grand quotidien japonais, Yomiuri Shimbun, le plus lu au monde (15 millions d’exemplaires vendus par jour). Il va y rester dix ans, commençant par couvrir des faits divers criminels, jusqu’à devenir l’interlocuteur favori d’un chef yakuza.
Echappé du Missouri
La pègre japonaise constitue le centre de gravité de Tokyo Vice. Le journaliste décrit de l’intérieur un environnement ultrafermé, a priori impossible à pénétrer. Cet accès a valu à Jake Adelstein, à la fin des années 2000, d’être une cible. A cette époque, il se teint les cheveux en rouge pour échapper aux tueurs à gages, et ne se déplace jamais sans son chauffeur et garde du corps – un ancien membre des yakuzas auquel il manque un bout de petit doigt, une mutilation que doivent s’infliger les yakuzas ayant failli à leurs obligations envers leur parrain.
Rien ne prédestinait Jake Adelstein, qui a grandi dans une ferme du Missouri, à faire sa vie au Japon. La passion pour ce pays lui est venue d’un professeur de karaté. Quant à la langue, elle lui était particulièrement adaptée. « J’ai une très mauvaise oreille, assure Jake Adelstein. Je ne peux pas faire la différence entre toutes les voyelles. Or le japonais n’en a que cinq. A l’écrit, je n’ai pas eu trop de problèmes, j’ai rapidement compris la logique de cette langue. »
Ecrire sur des faits divers lui est d’emblée apparu comme un exercice assez simple. Dans les quotidiens nippons, ils sont rédigés dans des formats très précis, qu’il suffit de respecter, sans avoir à prendre beaucoup d’initiatives. Cet exercice très balisé ne lui demandait pas non plus vraiment d’enquête, les articles étant souvent écrits à partir des communiqués de presse fournis par la police.
Il vous reste 43.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source : Le Monde.fr