En dépit de son éviction de la politique active japonaise, en novembre 2003, lorsque le Parti libéral-démocrate (PLD) refusa d’endosser sa candidature en raison de son âge (85 ans à l’époque), Yasuhiro Nakasone n’en continua pas moins à prendre part jusqu’à la fin de sa vie aux grands débats nationaux. De la révision de la Constitution, qu’il prônait afin de stimuler l’« amour de la patrie » et de permettre au Japon de participer à un système de défense, à l’éventualité d’un armement nucléaire du pays, l’ancien premier ministre, mort le 29 novembre à 101 ans à Tokyo, se situait à la droite du camp conservateur. Il avait soutenu les cabinets Abe et approuvé les visites de ce dernier au sanctuaire Yasukuni, où, parmi les âmes des morts pour la patrie qui y sont honorées, figurent celles de criminels de guerre.
Au cours de ses cinq années de pouvoir (1982-1987), Yasuhiro Nakasone s’attaqua aux problèmes auxquels le riche Japon de la fin du XXe siècle était confronté : ouvrir son marché, stimuler la demande interne et assumer des responsabilités accrues sur la scène internationale. L’ère Nakasone fut celle de l’internationalisation du Japon. S’il avait fixé des objectifs, il n’a pas toujours été en mesure de les atteindre.
Proximité avec Ronald Reagan
Parmi les premiers ministres japonais, plutôt ternes depuis la chute de Kakuei Tanaka en 1974, il fut celui qui bénéficia de la plus grande aura à l’étranger. Parlant anglais, entretenant une relation personnelle avec Ronald Reagan, il apparut comme un grand homme politique du Japon d’après-guerre. Il efforça de donner un tour « présidentialiste » à sa fonction. Une vingtaine d’années plus tard, le flamboyant Junichiro Koizumi (2001-2006) réussira mieux dans cet exercice de personnalisation du pouvoir.
Cultiver son image, Yasuhiro Nakasone s’y employa dès le début de sa carrière politique. Né le 27 mai 1918 dans une famille de négociants en bois de Takasaki, dans le département de Gunma (nord-est de Tokyo), diplômé en droit de la prestigieuse université de Tokyo, fonctionnaire au ministère de l’intérieur et officier de marine pendant la guerre, il se présenta aux premières élections législatives d’avril 1947. Sillonnant sa province natale sur une bicyclette blanche et portant une cravate noire (en signe du deuil national de la défaite), il était soutenu par des groupes de jeunes formant la Société des nuages bleus.
Celui qui passait pour un jeune-turc du camp conservateur ne se départit jamais d’un nationalisme affirmé – non sans opportunisme parfois, ce qui lui valut le surnom de « Girouette ». Il chercha à concrétiser ses idées dans ce qu’il nomma le « bilan de l’après-guerre », ambitieuse tentative de reconquête de l’identité culturelle nippone affaiblie par cette « fleur artificielle » qu’aurait été la démocratisation imposée en 1945 par l’occupant américain. Un thème repris en fanfare plusieurs décennies plus tard par son émule et successeur, Shinzo Abe.
Se démarquer de ses prédécesseurs
Ayant obtenu à 41 ans son premier portefeuille (directeur de l’Agence de science et de technologie) dans le cabinet Kishi, Yasuhiro Nakasone fut tour à tour ministre des transports (1967), directeur de l’agence de défense (1970), ministre du commerce international et de l’industrie (1972), secrétaire général du PLD (1974), puis directeur général de l’agence pour l’administration.
Chef du gouvernement en 1982, il chercha à se démarquer de ses prédécesseurs en faisant de la politique à l’américaine, dont un exemple fut son apparition à la télévision, en 1985, pour encourager les Japonais à acheter des produits étrangers afin de réduire l’excédent commercial. Initiative inefficace. En dépit de ses liens étroits avec Ronald Reagan, il ne put éviter de fortes frictions commerciales avec les Etats-Unis.
En dépit de ses liens étroits avec Ronald Reagan, il ne put éviter de fortes frictions commerciales avec les Etats-Unis
En matière internationale, Yasuhiro Nakasone dégagea le Japon de l’hypothèque que faisait peser sur sa politique de défense la limitation à 1 % du produit national brut du montant des dépenses militaires. Par sa visite en 1985 au sanctuaire de Yasukuni, il chercha à dégager le pays du poids de la culpabilité. Mais il dut faire marche arrière devant le tollé que souleva cette initiative chez ses voisins, notamment en Chine. Et il s’en abstint par la suite. Mais ses successeurs Junichiro Koizumi et Shinzo Abe ont repris le flambeau.
Dérégulation économique et « casseroles »
Sur le plan intérieur, il lança le processus de dérégulation de l’économie : privatisation de Japan Airlines, du secteur des télécommunications et des chemins de fer, sans toutefois s’attaquer au puissant lobby agricole. Il dut en outre capituler devant la levée de boucliers que provoqua son projet d’introduire une taxe sur la valeur ajoutée.
Sa carrière politique n’est pas exempte de sombres affaires. A la tête d’un clan minoritaire du PLD, il dut louvoyer en se rangeant opportunément du côté du plus fort. Il cultiva ainsi les liens avec le puissant Kakuei Tanaka, qui lui permit d’accéder au poste de premier ministre. Jusqu’à sa mort, à la suite d’une hémorragie cérébrale en 1985, Tanaka était resté le « shogun de l’ombre » du PLD : en d’autres termes, son faiseur de roi.
Yasuhiro Nakasone eut aussi des « casseroles » : son implication dans le scandale politico-boursier Recruit le contraignit à quitter le PLD en mai 1989. Son nom fut surtout souvent associé à celui de Yoshio Kodama, ruffian qui dirigeait des réseaux d’espionnage nippons en Chine et éminence grise de l’extrême droite liée à la pègre. Après avoir joué un rôle d’intermédiaire controversé, en novembre 1990, dans la libération d’otages japonais retenus par Saddam Hussein, Yasuhiro Nakasone avait réintégré les rangs du PLD en avril 1991.
« Un vieux soldat ne meurt jamais : il s’efface lentement », avait-il écrit en quittant son poste de premier ministre, en 1987. Et il resta effectivement l’un des grands caciques du camp conservateur jusqu’à sa mort.
Yasuhiro Nakasone en quelques dates
27 mai 1918 Naissance à Takasaki (province de Gunma)
1967 Ministre des transports
1972 Ministre du commerce international et de l’industrie
1974 Secrétaire général du Parti libéral démocrate (PLD)
1982-1987 Premier ministre
1989 Quitte le PLD à la suite d’un scandale politico-boursier
1991 Réintègre les rangs du PLD
29 novembre 2019 Mort à l’âge de 101 ans
Source : Le Monde.fr