Yuki Okinaga Hayagawa Llewellyn, la petite fille assise sur une valise au milieu de ballots dans la gare d’Union Station à Los Angeles, avec son air perdu sous sa frange et une pomme entamée à la main, a longtemps été le symbole de l’une des pages sombres de l’histoire du racisme aux Etats-Unis. Elle est morte le 8 mars, à l’âge de 80 ans, à Columbia (Missouri).
Excepté ses proches, personne n’a eu connaissance de sa disparition : en raison de l’épidémie de Covid-19, il n’y eut aucune cérémonie à sa mémoire. Ce n’est qu’il y a quelques jours que le Los Angeles Times, informé par une de ses amies, publia la nécrologie de celle dont la photographie est le symbole du sort des Américains d’origine japonaise au cours de la guerre du Pacifique.
Yuki, qui avait alors 2 ans, était née le 22 avril 1939 dans le quartier de Little Tokyo, à Los Angeles. Elle fut, avec sa mère, l’une des premières victimes de l’internement de 120 000 Américains d’origine japonaise, et de professions diverses, dans plusieurs « zones d’exclusion » en Arizona, Arkansas, Californie, dans le Colorado, l’Idaho et le Wyoming. Elles furent « relogées », selon l’expression des autorités, dans le camp de Manzanar, dans la vallée d’Owens (Californie), qui en accueillit 11 000. La raison : une ascendance qui rendait ces Américains « inassimilables » et en faisait des espions potentiels.
Un décret de Roosevelt
Un matin, des soldats armés étaient arrivés et Yuki avait dû partir, avec sa mère, Makiko Hayakawa, séparée de son mari. Rassemblant à la hâte quelques affaires, elles s’étaient retrouvées, un matricule au cou, à bord d’un train aux fenêtres aveugles, à destination d’un camp d’internement entouré de barbelés dont les baraquements avaient été, pour certains, des écuries.
Dix semaines après l’attaque surprise par le Japon de la base navale américaine de Pearl Harbour, à Hawaï, le 7 décembre 1941, des hommes, des femmes et des enfants, descendants des 400 000 Japonais arrivés aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, furent ainsi internés à titre préventif, en vertu d’un simple décret signé le 19 février 1942 par le président Roosevelt. Aucun des internés n’avait jamais commis le moindre délit.
« A Jap is a Jap », déclarait le général John DeWitt, qui supervisa leur incarcération. « Ce ne fut pas seulement une erreur politique mais une tragédie pour la démocratie américaine », écrit Greg Robinson, l’auteur de By Order of the président. FDR and The internment of Japanese Americans (Harvard University Presse, 2001, non traduit).
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Source : Le Monde.fr
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